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Le chemin de Paris à Damas, aller-retour

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10391387_10152989632086678_903716188509500143_nPar Afshin Rattansi, le 12 janvier 2015

L’Occident, tel qu’il est communément appelé, n’aime pas la liberté d’expression. Lorsque j’ai commencé à travailler chez al-Jazeera où j’enquêtai alors sur al-Qaeda, l’entreprise qatarie fut violemment prise pour cible. Quand j’étais à la BBC, nous avions une source qui essayait de dire au monde que le gouvernement de Tony Blair trompait le public sur les preuves en faveur d’une invasion de l’Irak. Il est présumé que le chercheur David Kelly a été poussé au suicide. Plus tard, des millions de personnes sont devenues des réfugiés, ont été blessées ou tuées, en Irak et alentour. Des journalistes qui essayaient d’exprimer librement leur opinion ont été exclus. Le patron de la BBC s’est fait congédier.

Quand le Guardian tenta de rendre publiques les révélations d’Edward Snowden, comme quoi tout le monde en Grande-Bretagne était écouté par les services secrets, David Cameron envoya les barbouzes – pas pour tuer le rédacteur-en-chef Alan Rusbridger – pour fracasser les ordinateurs du Guardian. Snowden fut contraint de s’enfuir à Moscou avec le concours de WikiLeaks. L’état de surveillance de masse avait déjà été mobilisé contre WikiLeaks à cause de sa témérité à croire en sa liberté d’exposer le meurtre de civils par des militaires US. Il y en a des milliers de plus qu’à Paris qui ont été assassinés, en dehors de toute procédure légale, par les drones du Président Obama.  Il n’y avait pas la place dans les médias occidentaux pour reprocher aux nations de l’OTAN d’aider Israël pendant qu’ils tuaient et mutilaient des milliers de civils palestiniens à Gaza, au cours de l’été.

La Grande-Bretagne interdit des chaînes de TV. Et comme la récente reconstruction romancée du travail du journaliste US Gary Webb – le livre « Tuez le Messager » de Michael Cuesta – s’efforce de l’expliquer, les carrières des reporters occidentaux sont détruites s’ils essayent de publier des récits frondeurs contre l’état. Webb s’est suicidé. Le reporter de Rolling Stone Michael Hastings est mort quand sa voiture a explosé à Los Angeles après qu’il s’en soit pris – dans un article – au commandant des forces occidentales en Afghanistan.

Nul n’a besoin de violentes théories de la conspiration pour comprendre d’où proviennent, en Occident, les attaques les plus pernicieuses contre la liberté d’expression. Elles proviennent d’un puissant système de journalisme financé par les publicités corporatistes, qui empêche que les réelles questions de vie ou de mort parviennent jamais aux consciences des gens ordinaires d’Europe Occidentale. Ce fut la grande Révolution Française qui planta le décor. En dépit de tous ses bienfaits, les pires guerres de l’histoire de la civilisation ont été laïques et motivées par des valeurs ancrées dans des perversions des Lumières européennes – pas dans la religion. C’est la quête de l’exploitation de ressources et de profit qui a davantage tué que n’importe quelle fille de dix ans affublée d’une ceinture de bombes sous sa veste par Boko Haram.

Voilà pourquoi il semble si absurde que des commentateurs de droite s’efforcent de ressusciter la rhétorique du « Choc des Civilisations », à la suite de Paris. Ils déclarent leur supériorité sur le thème de la liberté d’expression, du soutien au journalisme. Mais ce sont les mêmes qui ont applaudi quand l’OTAN a bombardé des journalistes à la TV serbe pendant la guerre contre la Yougoslavie en 1999. Ce sont eux qui ont applaudi quand l’OTAN a bombardé des journalistes à la TV libyenne en 2011. Ils sont ceux qui encouragent les guerres qui tuent des journalistes et quiconque se dresse sur leur chemin.

La ligne de défense conservatrice semble être que la menace posée par l’Islam à la liberté d’expression est trop grande. Il n’y a que l’impression de bandes dessinées et le déclenchement de guerres qui puissent nous sauver de cette religion. Mais quand ils mentionnent le mot « Islam », sont-ils seulement conscients que la marche sans précédent de l’Islam médiéval a précisément été due au fait que contrairement aux autres religions du Livre, il offrait la liberté d’expression? Peut-être pensent-ils que l’histoire ne porte pas à conséquence.

Ou tout ceci a-t-il, somme toute, quoi que ce soit à voir avec l’Islam? N’est-ce en réalité que de la propagande, issue d’une presse occidentale qui n’est pas libre? Y a-t-il en fait un manuel disponible aux journaliste occidentaux, dans lequel « Islam » peut être interverti avec « le Socialisme dans l’Espagne des années ’30 », « le Communisme en Russie », « le Maoïsme en Chine », « le Bolivarisme en Amérique Latine », « le Mouvement des Non-Alignés en Asie »? Peu importe – la seule chose qui compte est qu’il soit perçu comme l’ennemi, parce que c’est ce qui est dans les intérêts du capital occidental hégémoniste.

Les journalistes en Occident qui ont lutté pour diffuser la vérité sur les interventions du vingtième et du vingt-et-unième siècle dans le monde émergent – elles ont détruit les vies de milliards de personnes – savent ce qu’il en est. Battez-vous contre le système, et le pouvoir menacera votre bien-être personnel. Et la plupart du temps, la seule chose qui vous reste est la capacité de dire « je vous l’avais bien dit » après qu’ait été déchaînée une vague de massacres à une échelle plus vaste qu’ISIS puisse jamais rêver, et qui encourage également les ignorants à commettre des atrocités semblables à celles de Paris.

Il y a quelque chose de suicidaire à propos des réponses médiatiques élitistes au massacre de Charlie Hebdo. Ce n’est pas seulement le fait que les pires massacres de l’histoire – les guerres mondiales – trouvent leurs origines dans la laïcité. C’est que les journalistes semblent inconscients des questions à soulever au sujet des Lumières européennes, sans parler de la Révolution Française.

« Liberté, égalité, fraternité » n’avait pas grand-chose à voir avec une histoire de publication de dessins antisémites ou islamophobes dans le magazine Charlie Hebdo. C’était l’affaire de l’émancipation révolutionnaire des déshérités. La satyre se dirigeait contre Marie-Antoinette, pas contre les sans-culottes; contre les maîtres esclavagistes d’Haïti, pas contre les esclaves. Finalement, la Terreur ainsi nommée aux mains des laïcs Saint-Just et Robespierre ne fut presque rien, au regard de ce qui s’est produit dans le sillage du retranchement du pouvoir qui s’est ensuivi. Qui sait ce qu’eussent fait  les Jacobins, un quart de millénaire plus tard, face au fondamentalisme religieux qui monte en Amérique, et avec des corporations telles des Dieux en Europe? Zhou Enlai, le Premier Secrétaire inaugural de la Chine Communiste, disait vrai – qu’il ait parlé de 1789 ou de 1968 – lorsqu’il affirma qu’il était trop tôt pour livrer une appréciation des événements de Paris.

Mais, aujourd’hui, un journalisme occidental vérolé accompagne toute une crise économique occidentale. Il y a une austérité massive à cause de services financiers gigantesques et corrompus, mais aucun contexte fourni pour le besoin logique d’un changement radical de la société. La réaction de la prétendue presse a été d’écrire et de diffuser l’illusion que seules les évaluations de dettes souveraines régissent la vie publique. Le journalisme cesse d’être libre quand tout le débat politique « consensuel » en Occident s’évertue à plaire à une portion minuscule du un pour cent à propos de la réduction des déficits. Les journalistes occidentaux ne semblent pas libres de contester que la société soit réellement ainsi faite que le leur racontent les traders du cénacle.

En ce qui concerne la responsabilité pour les crimes de guerre occidentaux, il y a la peur d’une attaque terroriste de la part de « l’autre ». La peur est l’outil dont se servent les journalistes occidentaux « libres » quand ils couvrent les opérations militaires de l’OTAN. Et il y a, dans la presse occidentale, de plus en plus de restrictions qui empêchent les journalistes de parler de choses encore plus cataclysmiques et eschatologiques. Les événements mondiaux récents suggèrent que les corporations occidentales pensent qu’elles ont trouvé une issue hors de la crise, une espèce de solution finale. C’est sans doute le reductio ad absurdum (raisonnement par l’absurde, ndlr) des forces contre-révolutionnaires libérées par le passage à la guillotine des Jacobins: une guerre mondiale, ouverte et totale.

Les interventions mortelles provenant de l’étranger apparaissent sur la scène mondiale comme les convulsions d’une superpuissance à l’agonie. Aucune somme de conflits socio-économiques à domicile ne peut empêcher aux gouvernements de l’OTAN de percevoir des menaces militaires existentielles. Les journalistes répètent des mensonges et oublient l’histoire. Des guerres sont en préparation contre les grandes puissances du XXIè siècle. L’OTAN se livre à des jeux de guerre pour des attaques contre la Chine – et, bien sûr, la Russie. Un journalisme occidental à bout de souffle au sujet de l’Ukraine ne permet aucune dissidence, afin que tous les développements de la situation soient perçus à travers le prisme d’un expansionnisme russe, pas de l’OTAN. Mais, ils ne font que rouler des mécaniques face à la Russie, la Chine et l’Inde. Et en Afrique et en Amérique Latine, il y a des signes qu’ils sentent que la partie est déjà perdue.

Une région – dominée, comme il se trouve, par l’Islam – reste au centre des attentions. Peu importe que l’Arabie Saoudite ait servi de source financière à ISIS. Les bénéfices issus des combustibles fossiles du Moyen-Orient comptent par-dessus tout. La catastrophe environnementale n’est même pas un problème. Des défaites répétées en Mésopotamie non plus. Pour l’expliquer au peuple, les puissances de l’OTAN ont besoin d’une presse « libre » de faux journalistes-sténographes qui répètent ce qui leur est transmis. Cela peut être de faux dossiers, des lignes rouges ou de fausses armes de destruction massive, et tout est dans le contexte d’une mauvaise compréhension fondamentale du monde post-1789.

Les journalistes excusent donc les atrocités israéliennes. Les dessinateurs palestiniens ne comptent pas quand ils se font persécuter. Ils détournent le regard quand des combattants de la liberté menacent les champs pétroliers d’Arabie Saoudite orientale. Il ne vient pas à l’esprit des journalistes que les Saoudiens sont la source financière de tant de financement islamiste. Dans ce maelström, apeurés face au déclin occidental, les dirigeants européens serviteurs du capital se muent en auteurs d’attentats-suicide. Le Président Hollande a armé les rebelles islamistes qui se battent contre le laïc Bachar al-Assad. Les tueurs de Charlie Hebdo faisaient partie de ce mouvement. C’est sur le chemin de Damas, que le contribuable français, tout comme le contribuable britannique et des USA, a prêté la main à ceux qui ont commis les atrocités parisiennes.

Source: http://www.counterpunch.org/2015/01/12/the-road-from-paris-to-damascus-and-back-again/#.VLSIdJdKWiw.facebook

Afshin Rattansi est le présentateur de l’émission d’affaires contemporaines de RT, Going Underground, diffusée au Royaume-Uni sur Freeview 136/Sky/512. Elle est disponible sur Internet à https://www.youtube.com/user/GoingUndergroundRT/videos. Il peut être joint à afshinrattansi@hotmail.com.



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