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La vision idiote du monde d’Ayn Rand fait que les riches se sentent bien avec eux-mêmes

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AtlasShruggedPar Sean McElwee, le 16 novembre 2013

Pour ceux qui n’ont pas eu l’immense malheur de lire "La Grève", le roman se base sur l’idée que si les "dirigeants créatifs", les hommes d’affaires, les innovateurs et les artistes du monde (c’est-à-dire, les "faiseurs") faisaient grève, toute notre société s’effondrerait. Ces grévistes se terrent dans un complexe utopiste sous les montagnes du Colorado tandis que le reste d’entre nous nous lamentons avec accablement et grinçons des dents, les implorant de nous faire encore bénéficier de leur créativité.

Le roman reflète de nombreuses manières le film plus ancré à gauche "Elysium" où, afin d’échapper à la dégradation environnementale qu’ils ont provoquée, les plus riches s’en vont créer leur propre société dans le ciel. Le reste de la population humaine demeure embourbée dans des conditions de vie de bidonville, parce que la seule chose se tenant entre l’humanité et la sauvagerie est Bill Gates. Mais n’ayez crainte! Plutôt que de résoudre nos problèmes de façon collective, l’humanité a besoin d’un "Jésus" salvateur sous la guise de (qui d’autre?) Matt Damon, afin de faire de nous des citoyens d’Elysium et ainsi sauver l’humanité. Ces deux histoires très disparates de souffrance ont des éléments en commun (ce que j’appellerai la "vision randienne"): la société se repose sur les riches; l’action collective par le biais du gouvernement est soit vide de sens soit nuisible; et quelques individus ("de grands hommes") devraient être le cœur du changement social et de l’innovation. Mais toutes ces suppositions sont fausses.

L’attrait de la vision randienne aujourd’hui pour les riches de ces temps est évidente: elle les replace au centre de la vie économique. Ils se sont aperçu il y a longtemps que plutôt que d’être les "faiseurs" bienveillants qu’ils avaient toujours pensé être, ils étaient les "preneurs" parasites qu’ils méprisaient tant. Leur richesse, qui était naguère un symbole que Dieu aimait leur travail, devint un instrument pour le changement social (Carnegie, Rockefeller) et par la suite un bien en lui-même (Gates, Jobs). Le darwinisme social, l’idée selon laquelle l’économie est une compétition où "les plus forts parviennent à survivre" et où les êtres humains supérieurs s’en sortent en haut du panier, exulte l’homme d’affaires comme supérieur et méritant. Mais comme Henry George nota sur Herbert Spencer (le fondateur du darwinisme social): "M. Spencer est comme un homme insistant que chacun doit nager pour lui-même en traversant un fleuve, en ignorant le fait que certains ont été artificiellement agrémentés de bouées et d’autres artificiellement lestés de plomb". Francis Scott Fitzgerald et Thorstein Velben ont ridiculisé l’idée que les riches étaient d’une quelconque manière supérieurs. Le darwinisme social a ressurgi dans la pensée conservatrice, ajoutant à la vision randienne pour fortifier un ordre social dans lequel une proportion minuscule de la société récolte les profits.

Parce que les riches ne veulent plus se servir de leur richesse pour le bien commun, ils ont décidé de glorifier la richesse elle-même comme étant bonne, ainsi, Harry Blingswanger écrit-il dans Forbes Magazine,

Imaginez l’effet sur notre culture, surtout, sur les jeunes, si la sorte de célébrité et d’adulation dans laquelle baigne Lady Gaga s’attachait aux accomplissements plus notables de, disons, Warren Buffett. Ou si la louange morale donnée à la Mère Thérésa allait vers un homme comme Lloyd Blankfein qui, en guidant Goldman Sachs vers des milliards de bénéfices, a fait infiniment plus pour l’humanité. (Puisque le profit est la valeur sur le marché du produit moins la valeur sur le marché des outils utilisés, le profit représente la valeur créée.)

Ici nous voyons la vision randienne dans toute son imbécile splendeur. Si vous pouviez faire du bénéfice en pressant des chiots pour faire du café, vous mériteriez davantage de louange morale que quelqu’un qui voue sa vie aux pauvres. Comme E.F. Schumacher observa concernant le capitalisme, "Nommez une chose immorale ou laide, destructrice de l’âme ou dégradante pour l’homme, un danger pour la paix du monde ou pour le bien-être des générations futures: si vous n’avez pas démontré qu’elle est "non-économique" [non-profitable] vous n’avez pas vraiment remis en question son droit à l’existence, à croître, et à prospérer." Pour justifier leur richesse, les titans de l’industrie doivent faire d’eux-mêmes le centre du progrès économique et de la société, mais le sale petit secret est qu’ils ne le sont pas; ils sont juste là pour profiter du voyage. Comme Richard Hofstadter observa au sujet du capitalisme états-unien, "Naguère de grands hommes créèrent des fortunes; aujourd’hui un grand système crée des hommes fortunés."

Cette observation est en accord avec les faits: William Baumol découvrit dans les années ’60 que 90% du PIB US aujourd’hui provient d’innovations remontant à 1870. Le lauréat du Prix Nobel Herbert Simon estime qu’un impôt commun de 90% des revenus est justifié parce que le "capital social" représente 90% des revenus dans les pays développés. Le Projet du Génome Humain a couté au gouvernement (US, ndt) 3,8 milliards de dollars mais a généré 796 milliards $ en gains économiques. Il est attendu du projet un retour sur investissement au public d’à peu près 140 pour 1. Des recherches par Kenneth Flam démontrent que "dix-huit des vingt-cinq percées les plus significatives dans la technologie informatique entre 1950 et 1962 ont été financés par le gouvernement, et dans plusieurs cas le premier acheteur de la technologie était aussi le gouvernement." La vision randienne fait la louange des directeurs de fonds spéculatifs, bien que la plupart de ces fonds spéculatifs aient une performance en-dessous de celle du marché. La darwinisme social élève le PDG malgré le fait que les PDGs les plus payés échouent très souvent et que beaucoup d’entreprises se portent très bien sans eux. La société exalte Zuckerberg, Brin et Dorsey, mais ce fut DARPA qui rendit leur codage possible. La plupart des recherches menées par le gouvernement ne sont pas assez profitables pour susciter l’intérêt des entreprises privées, ou sont tout simplement trop risquées. Le vol spatial privé n’est envisageable que parce que le gouvernement y est allé le premier.

Il semble presque axiomatique qu’aucune bonne personne n’a fait de grandes choses uniquement pour le profit financier. Ils recherchent quelque chose de plus important que la possession matérielle. Donc pourquoi devrions-nous craindre que les plus riches parmi nous nous quittent? Je craindrais pour le monde si les empathiques, les intelligents, les courageux et les créatifs nous quittaient. Nous ne célébrons pas ces vertus si elles ne mènent pas d’une façon ou une autre au gain financier, mais souvent elles ne le font pas. Norman Borlaug, père de la "Révolution Verte", qui selon certaines estimations a sauvé 1 milliard de personnes de la famine et qui a été loué comme "… un géant de scientifique dont les travaux se comparent aux autres grands bienfaiteurs de l’humanité du 20è siècle," ne travaillait pas pour l’argent; il travaillait pour aider les gens. Une histoire du Dallas Observer à son sujet dénotait qu’il "se complaisait rarement dans les conforts modernes de l’Occident industrialisé pour des longues périodes de temps. Son choix a été de s’immerger dans des lieux où les gens regardent la mort dans les yeux tous les jours." Quand un journaliste vit la Mère Thérésa aidant un lépreux défiguré, il lui dit, "Je ne ferais pas cela pour un million de dollars." La Mère Thérésa lui répondit, "Moi non plus."

Les héritiers de la famille Walton (propriétaires de Walmart, ndt), dont la fortune repose uniquement sur la prédation – du travail, de l’environnement, du gouvernement, des petites entreprises – contrôle davantage de richesses que les 40 millions de citoyens US les plus pauvres. Imaginez ce que nous pourrions faire avec cette fortune s’ils partaient. En dépit de toutes les louanges dont bénéficie Bill Gates, il vaut le coup de se demander, comme l’a fait Peter Singer, s’il a donné assez:

Gates a peut-être donné presque 30 milliards $, mais cela le laisse encore assis en haut de la liste des citoeyns US les plus riches, avec 53 milliards $. Sa propriété de 9000m² hi-tech en bord de lac près de Seattle vaudrait plus de 100 millions $. Les impôts sur cette propriété s’élèvent à peu près à 1 million $. Parmi ses biens figure le Codex de Leicester, le seul livre écrit à la main par Léonard de Vinci encore entre des mains privées, pour lequel il a déboursé 30,8 millions $ en 1994. Bill Gates en a-t-il fait assez? Plus précisément, vous pourriez demander: s’il croit vraiment que toutes les vies ont une valeur égale, que fait-il à vivre dans une maison aussi chère et à détenir un Codex de Léonard de Vinci? N’y a-t-il pas d’autres vies qui pourraient être sauvées en vivant plus modestement et en ajoutant l’argent ainsi épargné à la quantité qu’il a déjà donnée?

Si Gates donnait tous ses 53 milliards $ à l’aide humanitaire internationale, cela représenterait le double de ce que le gouvernement US donne chaque année (23 milliards $ en 2013). Imaginez le bien que nous pourrions faire avec les fortunes des riches, qui n’ont amassé ces fortunes qu’à cause de l’infrastructure développée par la société. Les innovateurs comptent souvent sur le gouvernement et le financement universitaire pour des projets que les corporations pensent ne seront pas profitables (selon Singer, "moins de 10% du budget mondial de recherche sur la santé est dépensé sur le combat contre des conditions qui représentent 90% du poids global de maladie."). Les arts sont essentiellement soutenus par des financements publics, pas par des donations privées. Et beaucoup d’entreprises sont moins autonomes qu’elles ne se l’imaginent, comptant sur des sauvetages de l’état et sur la compétition entre ceux-ci pour les soutenir. Beaucoup de corporations, telle Walmart, lâchent des employés aux largesses du gouvernement plutôt que de les payer suffisamment pour se nourrir. Et qui construit les routes et sort les poubelles?

Si les 0,1% les plus riches devaient s’aventurer à former leur propre société, le reste d’entre nous ne s’abîmerait pas dans des conflits violents; plutôt, sans le poids onéreux des riches ténias (ver solitaire, ndt) qui siphonnent notre richesse commune, nous pourrions commencer à résoudre nos problèmes. Donc aux riches qui menacent de quitter New York (ou la France, ou ailleurs, ndt), je dis, "Partez." Si les riches parviennent d’une quelconque façon à former leur propre planète, nous pourrons commencer à résoudre les problèmes sur la nôtre. Nous sommes les faiseurs, ils sont les preneurs.

Source: http://www.alternet.org/economy/how-ayn-rands-idiotic-worldview-makes-wealthy-feel-good-about-themselves?

Sean McElwee est auteur pour The Moderate Voice et a son blog à seanamcelwee.com. Il a écrit auparavant pour The Day et The Norwich Bulletin et sur WashingtonMonthly.com et Reason.com. Compte Twitter: @seanmcelwee



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